samedi 7 janvier 2017

Et Maurice Mességué soigna Jean Cocteau



Maitre Pasquini avait, un jour, parlé de moi à Jean Cocteau qui avait pris rendez-vous pour venir me consulter dans une semaine. Et rien ne s'était passé comme il avait été prévu.

Je ne sais plus pour quelles raisons je me trouvais en forêt de Fontainebleau. Fatigue? Épuisement nerveux? Besoin de retrouver le contact avec les forces de la nature? Peut-être un peu de tout cela. Toujours est il qu'une longue marche m'avait conduit aux abords de Milly-la-foret. En entrant dans le village, je m'étais arrêté devant le château et j'avais regardé l'eau noire de ses douves où flottaient, entre deux eaux, de longues chevelures d'herbes. Cette maison était celle de Jean Cocteau et je l'ignorais. Ce jour-là, tout était merveilleux, peut-être parce que j'approchais d'un enchanteur. Ma promenade sans but m'a mené à une petite chapelle entourée d'un jardin de simples. Il faisait beau. Mes plantes étaient toutes là et elles étaient heureuses, libres, elles respiraient dans l'air calme. Et les poussières dansaient dans le soleil. Je décidai d'entrer dans la chapelle. Le Bon Dieu qui s'abritait là était le mien.

Et j'ai vu Jean Cocteau. Il portait une veste de daim feuille morte, ses cheveux blancs mousseux dans un rayon de soleil lui faisaient  auréole. Il était en train de peindre, monté sur un échafaudage; il décorait les murs de la petite chapelle. Il me tournait le dos. Sous sa main fleurissait un bouton d'or. La fleur avec laquelle j'allais le soigner naissait comme un oracle au moment ou j'apparaissais. Comment ne pas croire aux choses que nous ne voyons pas quand les présages vous font de pareils signes ? Avec Cocteau tout devenait facile. Il s'est retourné et je lui ai dit:

" Je suis Maurice Mességué.
- Je vous attendais.
- Mais je ne savais pas que j'allais venir."
Il a souri.
" Moi non plus.
- Vous êtes en train de peindre la fleur avec laquelle je vais vous soigner.
- Comment le savez vous?
- Je l'utilise beaucoup et j'ai senti qu'elle allait vous faire du bien."

Avec personne d'autre je n'aurais pu avoir ce dialogue. Cocteau avait le pouvoir de vous accorder à lui. Descendu de son échelle, il me regardait. Sous sa veste il portait un pull de laine jaune bouton d'or.

" Je suis content que votre poésie rejoigne la mienne.
- Oh! Moi je ne suis qu'un pauvre paysan.
- Vous êtes fait d'argile et de sang. Vous pesez le lourd poids de l'homme, comme mon ami Pablo Picasso."





Maurice Mességué, Des hommes et des plantes, 1970.

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