samedi 2 février 2013

Ambient Music: Théorie et pratique selon Brian Eno (2)




Début 1975, je me retrouvai immobilisé au lit suite à un accident. Mon amie Judy Nylon m'avait rendu visite, m'apportant un disque de musique pour harpe du XVIIème siècle. Je lui demandai de le mettre au moment où elle s'en allait ; mais ce n'est qu'après son départ que je découvris que le niveau sonore de ma chaine était bien trop faible - et que, de toute façon, l'un des hauts-parleurs ne fonctionnait plus. Dehors, il pleuvait abondamment, et c'est à peine si je pouvais entendre la musique par-dessus la pluie - hormis les notes les plus fortes, comme autant de petits cristaux - des icebergs sonores émergeant de l'orage. Ne pouvant me lever pour y remédier, je restai allongé là, attendant qu'un autre visiteur arrive et règle le problème, et peu à peu je fus séduit par cette expérience d'écoute. Je compris que c'était ce que je demandais à la musique - être un lieu, un sentiment, une coloration globale de mon environnement sonore.  
Après cela, en avril ou mai de la même année, j'enregistrai Discreet Music, qui fut sans doute mon premier disque réellement ambient (bien que ce que j'aie fait auparavant avec le grand guitariste Robert Fripp en soit déjà assez proche). C'était un morceau de 31 minutes (le plus long que je puisse mettre sur disque à l'époque) : il était modal, d'une texture unie, paisible et, d'un point de vue sonore, chaleureux. A cette période, il ne reçut pas un accueil très cordial, et j'aurais sans doute hésité à le sortir sans les encouragements de mon ami le peintre Peter Schmidt (à dire vrai, peintres et écrivains - qui écoutent de la musique en travaillant, et veulent se créer un environnement favorable, furent les premiers à apprécier et à encourager cette œuvre). 


Fin 1977, j'attendais un avion dans l'aéroport de Cologne. C'était par un début de matinée clair et ensoleillé, l'endroit était presque vide, et l'espace du bâtiment (conçu, je crois, par le père de l'un des fondateurs du groupe Kraftwerk) extrêmement attirant. J'ai commencé à me demander quel genre de musique y sonnerait bien. J'ai pensé :
« Il faut qu'on puisse l'interrompre (à cause des annonces), qu'elle se situe en dehors des fréquences auxquelles les gens parlent, à des vitesses différentes de leur élocution (pour ne pas gêner la communication), elle doit pouvoir s'adapter à tous les bruits qu'on entend dans un aéroport. Et, ce qui est le plus important pour moi, il faut qu'elle soit liée à l'endroit où on se trouve, à ce pourquoi on est là - voler, flotter, et secrètement, flirter avec la mort.» J'ai pensé : « Je veux faire une musique qui vous prépare au trépas - qui ne soit pas lumineuse et gaie et fasse comme si vous n'étiez pas un peu inquiet, mais qui vous fasse dire: "En fait il n'est pas très important que je meure". » 



C'est ainsi que naquit le premier disque ambient, Music for Airports - que je sortis sur mon propre label (appelé Ambient Records bien sûr). La pochette intérieure abritait mon manifeste:
Comme nombre des choses que je faisais à l'époque, tout ceci fut considéré par nombre de critiques anglais comme une sorte de plaisanterie arty, et ils s'en amusèrent beaucoup. Je suis donc ravi que l'idée se soit maintenue si longtemps, et continue à germer dans toutes sortes de directions : elle me revient comme par le téléphone arabe - méconnaissable, mais intrigante. Ces premières graines (il n'y eut que quatre sorties sur le premier label Ambient Records - On land et Music for Airports de moi, The plateaux of Mirrors de Harold Budd, et Day of Radiance de Laraaji) ont contribué à la création d'une riche forêt musicale.


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